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À MA SOEUR ET UNIQUE de Guy Boley - Éditions Grasset

  • Béatrice Arvet
  • 27 oct. 2023
  • 3 min de lecture

Sans elle, celui qui, à la fin de sa vie, se prenait pour Dieu, Dionysos, le Christ ou le successeur de Napoléon, serait peut-être resté un inconnu. Guy Boley, tout en éclairant certains pans de la biographie de Friedrich Nietzsche (1844-1900), dresse un portrait à charge de sa sœur, qui s’est approprié son œuvre en la merchandisant effrontément. Tout en malice réjouissante, cette introduction au parcours d’un penseur souvent mal compris est accessible, jubilatoire et passionnante.


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Le titre, comme beaucoup d’autres éléments dans ce livre, est ironique. Il s’agit d’une dédicace écrite à sa sœur en 1869, lors de la parution de son premier opuscule « Homère et la philologie classique ». À l’époque frère et sœur étaient en heureuse harmonie, elle tout en admiration soumise devant le génie de l’aîné. Les choses se sont gâtées plus tard, lorsqu’elle a épousé, en 1885, Bernhard Förster, un journaliste antisémite notoire, qui, après l’affaire Kantorowicz, tentera de créer au Paraguay une communauté 100% aryenne, baptisée Nueva Germania. La rupture est brutale, à l’instar de celle avec Wagner. Nietzsche, écœuré par le faste et l’esprit mercantile de Bayreuth, n’assistera pas à la grande première. Veuve, endettée, chassée d’Amérique latine, celle qui se fera appeler pompeusement Docteur Förster-Nietzsche, n’aura pas d’état d’âme à utiliser un marketing offensif pour promouvoir l’œuvre jusque-là confidentielle de son frère.

Guy Boley s’attache plus à l’homme et à sa fin tragique qu’à l’œuvre. Sur ses 55 années d’existence, le philosophe n’aura connu que dix ans de véritable liberté et peut-être de félicité. Né dans une famille de pasteur rigoriste, il lui a fallu batailler afin de rompre avec ses croyances d’origine et trouver une voie hors d’un destin tracé d’avance, tout en luttant contre des céphalées invalidantes. Son cheminement solitaire à travers l’Europe s’achèvera le 3 janvier 1889 à Turin, date marquant le début de onze années durant lesquelles il sombrera dans le silence d’une folie apaisée par de puissants calmants. Utilisant tous les moyens à sa portée, y compris la menace, Elisabeth va récupérer les travaux éparpillés de son frère en même temps que sa tutelle. Celui qui avait horreur du mensonge n’aurait sûrement pas apprécié les boniments de sa sœur, prête à tout pour rentabiliser son œuvre, y compris des années après sa mort, se faire bien voir d’Hitler dans le but de conserver une pension.

Le roman regorge d’anecdotes. On est sidéré d’apprendre que les visiteurs pouvaient, moyennant finances, aller voir le philosophe quasi inconscient dans sa chambre, comme un animal au zoo. Et l’on s’amuse d’apprendre qu’en 1859, les élèves étaient dispensés de cours pour cause de canicule, dès que la température dépassait … 23 °.

Si le récit n’est pas d’une objectivité exemplaire, l’écriture vivante, savamment travaillée, espiègle autant que distanciée, transforme une liberté contrainte par les faits connus, en une projection réaliste. Comme l’indique la couverture, tous les ingrédients d’un drame shakespearien sont contenus dans cette relation entre un frère et une sœur. Ici, on apprend, on s’indigne et on se passionne.


Béatrice Arvet


Article paru dans l'hebdo La Semaine du 12 octobre 2023


REPÈRES


Né en 1952, Guy Boley a pratiqué plusieurs métiers avant de devenir dramaturge pour des compagnies de danse et de théâtre. Ses spectacles ont été joué un peu partout dans le monde. En tant qu’écrivain, « Fils du feu » (Grasset, 2016) a reçu plusieurs prix dont le grand prix SGDL du 1er roman, et « Quand Dieu boxait en amateur » (Grasset, 2018) a été récompensé 7 fois. « À ma sœur et unique » vient d’obtenir le prix des deux Magots. Il est encore en lice pour le prix Femina.


 
 
 

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