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LA TENTATION ARTIFICIELLE de Clément Camar-Mercier - Éditions Actes Sud

  • Béatrice Arvet
  • 20 sept.
  • 3 min de lecture

Bluffant, délirant, inventif, documenté et même drôle, voici quelques-uns des adjectifs pouvant s’accoler à ce roman. Après une histoire d’amour déjantée, reflet des addictions modernes, Clément Camar-Mercier continue d’explorer l’air du temps à travers les tribulations d’un génie des algorithmes. Une immersion virtuose dans la tête d’un « nerd », pas toujours facile à lire, mais particulièrement inventive.

 


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Alors que Jérémie est au sommet de sa carrière, qu’il doit présenter un algorithme hyper performant à une puissante plateforme de vidéos à la demande, une série de petits maux, « pas grave(s), mais chiant(s) » d’après les médecins, vient perturber cette belle ascension. Lui qui traque les disfonctionnements à longueur de journée, voilà que son corps se met à bugger. Un comble pour celui qui voulait changer le monde depuis l’enfance et qui est à deux clics de réussir avec la demande du ministère de l’intérieur, d’un process capable de prévenir les crimes et les délits. Quelques événements plus tard, dont on ne dira rien, on retrouve Jérémie en retraite au monastère St Pierre de Solesme, où il découvre une communauté presqu’aussi déconnectée que lui du monde réel, régie par des rites ancestraux, immuables, uniquement tournée vers l’adoration d’une puissance céleste, le parfait fantasme d’un développeur. Notre « modeste » Jérémie ne tardera pas à se reconnaître dans le prophète du même prénom et à faire un parallèle entre les rites païens d’antan ayant mené au monothéisme et la société consumériste d’aujourd’hui, pilotée par des algorithmes de plus en plus intrusifs. Ne serait-ce pas sa mission d’inventer une entité qui ferait office de dieu ?

 

HUMAIN VERSUS MACHINE

 

Comment améliorer l’humanité, la tirer vers le haut alors qu’elle se complaît dans une médiocrité affligeante ? Avec un personnage raisonnant en langage binaire 0-1, pour qui les notions de bien et de mal sont dénuées de morale, Clément Camar-Mercier sonde les abîmes d’une confrontation, homme-machine. En cela, il rejoint par le roman le propos de Giuliano Da Empoli* qui annonçait une époque post-humaine gérée par les algorithmes. Cependant, si son écriture est d’une précision remarquable, il n’oublie jamais d’ajouter une touche de dérision à l’arrogance de son héros en le mettant régulièrement dans des positions humiliantes ou cocasses. Une malice qu’il s’applique également à lui-même, puisque l’algorithme de Jérémie annonçait le pire titre à choisir : « La tentation artificielle ».

 

« La beauté est inutile. L’inutile est obsolète. (…) Seules l’évolution et la survie comptent ».  En naviguant dans un univers sans émotions, ni conscience, privé de libre arbitre, régi par l’intelligence (artificielle) et un savoir total non hiérarchisé, inaccessible au cerveau humain, l’individu devient un outil au service de la machine. Clément Camar-Mercier pointe cette déshumanisation de la société, à l’œuvre quand l’individu, par son addiction et son ignorance, perd pouvoir et identité.

Fiction d’une actualité brulante, uchronie également, mêlant thriller, anticipation, philosophie, romance (un brin) et humour, ce « livre de Jérémie » version 21ème siècle, est un objet multiple, parfois ardu, mais sa créativité et sa complétude réjouissent.

 

* L’heure des prédateurs – Giuliano da Empoli (Gallimard)

                                                                                                                      Béatrice Arvet


Article paru dans l'hebdo La Semaine du 11 septembre 2025

 

REPÈRES

 

À 38 ans, Clément Camar-Mercier est dramaturge et traducteur, spécialiste du théâtre élisabéthain et de Shakespeare en particulier, dont il a entrepris une nouvelle traduction. « Le roman de Nathan et Jeanne » (Actes Sud, 2023) a reçu le prix Transfuge du 1er roman. Essai transformé par le prix Transfuge du roman, cette fois, qui vient de lui être attribué pour « La tentation artificielle ».

 

 
 
 

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