LA GUERRE PAR D’AUTRES MOYENS de Karine Tuil - Éditions Gallimard
- Béatrice Arvet
- 14 juin
- 2 min de lecture
Avec son écriture fébrile et nuancée, Karine Tuil s’attaque frontalement à cette relation à l’autre qu’est le pouvoir. De l’Élysée à Cannes en passant par le milieu de l’édition, ce roman haletant nous invite dans les coulisses d’une « guerre » sans merci pour son appropriation.

Dan Lehman, ex-président de la République, a épousé en secondes noces Hilda Müller une actrice de 30 ans sa cadette avec qui il a une petite fille sourde et muette. Il vit très mal son échec aux dernières présidentielles, d’autant qu’il va être entendu dans une affaire de corruption. Son second mariage prend l’eau. Il n’éprouve plus de plaisir à être accompagné d’une jeune femme que tout le monde lui envie et elle ne lui reconnaît plus l’aura de ses années de présidence. Marianne, sa première épouse lui manque, il regrette d’avoir brisé son foyer pour tant de frivolité et il a tendance à noyer cette vacuité dans une consommation excessive d’alcool. Les deux femmes ont mis leur carrière entre parenthèses afin que « le grand homme » puisse façonner la sienne. Maintenant la donne a changé. Et justement une comédienne inconnue a réussi à obtenir les droits d’un livre de Marianne sur les violences subies par les femmes.
Le pouvoir, le gagner, le prendre, l’exercer, le perdre, en abuser, y résister …... Karine Tuil en décline les multiples facettes, ses ors, sa séduction, son autorité, son isolement, ses trahisons, ses compromissions, ses serviteurs... Chacun de ses personnages expérimente son emprise, son attraction, sa jouissance ou son manque ; son alternance, également, qui retourne les situations dans un subtil jeu de chaises musicales.
Politique, cinéma et littérature sont ici interconnectés, dans une relation souvent cynique. Si le début peut faire croire à un roman à tiroirs, on s’aperçoit rapidement que les protagonistes suivent leurs propres destins, se contentant de porter les tics du moment. La solitude du pouvoir, pendant ou après son exercice, la condition féminine invariablement victime d’un certain virilisme, les addictions multiples d’une époque dépressive, la puissance nocive des réseaux sociaux, sont passés au crible d’une écriture nerveuse, qui n’oublie jamais la dose d’humanité propre à chaque individu.
De livre en livre, Karine Tuil continue à traquer la violence dans tous ses états. Celle du pouvoir, psychologique ou physique, est peut-être la plus sournoise. Elle en restitue la complexité, les contradictions, mais c’est en virtuose qu’elle nous oblige à être scotchés à cette intrigue, du début à la fin.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'Hebdo La Semaine du 2 mai 2025
REPÈRES
Née en 1972, Karine Tuil a obtenu un DEA de droit de la communication / sciences de l'information à l'université de Paris II – Assas. Elle a publié une douzaine de romans. " L'insouciance " (Gallimard, 2016) a été lauréat du prix Landerneau. « Les choses humaines » (Gallimard, 2019) a reçu le prix Interallié et le Goncourt des lycéens. Le grade d'officier de l'Ordre des Arts et des lettres lui a été décerné en 2017.
DERNIERS OUVRAGES PARUS
La Décision - Gallimard, 2023
Les Choses humaines - Gallimard, 2021
L'Insouciance - Gallimard, 2016




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