AU FOND DES ANNÉES PASSÉES de Jens Christian Grøndahl - Éditions Gallimard
- Béatrice Arvet
- 25 oct.
- 2 min de lecture
En imaginant une histoire d’amour contrariée qui s’offre une seconde chance, Jens Christian Grøndahl met en parallèle deux époques et questionne avec l’élégance qui fait sa signature, le jugement porté sur des événements à 37 ans de distance. Magistral.

Il l’avait connue lors de sa première année d’étude, fraichement sorti du giron familial et découvrant l’indépendance. Fasciné par cette jeune femme, tellement plus mûre, plus instruite, plus libre, il en tombe immédiatement amoureux, comme on peut l’être à vingt ans, sans cesse dans l’admiration, ne se trouvant jamais à la hauteur, attendant des heures un signe à côté du téléphone. « Il n’y a pas de paradis sans serpent » et celui-ci se nomme Claes Wilder, un peintre en vogue avec lequel Anna semble très proche. L’histoire s’arrêtera brutalement après une nuit traumatisante pour le narrateur et le départ précipité d’Anna pour l’Espagne. Des décennies plus tard, ils se rencontrent (presque) par hasard. Lui, atteint d’une maladie dégénérative, a divorcé, sa femme refusant de se transformer en infirmière. Elle, récemment séparée, tente de fuir un scandale provoqué par un mari célèbre.
Davantage qu’au temps passé, Jens Christian Grøndahl s’intéresse au regard que porte son narrateur sur celui ou celle qu’ils étaient si longtemps avant. Il compare ainsi deux périodes, une libertaire avec des excès ayant peut-être favorisé le retour d’un puritanisme, dont la radicalité commence aussi à montrer ses limites. Avec une pointe d’affliction, il observe le garçon sous influence, tapi « au fond des années passées », qui aurait probablement été déçu par l’adulte devenu. La séquence Anna a perdu de sa superbe, ramenée à une simple péripétie de jeunesse.
Jens Christian Grøndahl analyse subtilement les contresens portées sur des épisodes lointains lorsque les idéaux, « ressassées indéfiniment au pub », prennent le pas sur les réalités. Il en profite pour se pencher sur l’évolution des mentalités, aux antipodes d’un bout à l’autre de la ligne de vie. Du côté des années 80, les errances politiques, le mirage d’une libération sexuelle, la fidélité mise au piquet ; aujourd’hui, les abus de pouvoir, les violences faites aux femmes ou les nouvelles définitions du genre. Plus intimement, il ausculte le couple et sa face cachée, la vieillesse, la maladie ainsi que les répercussions de la réapparition d’une femme follement aimée sur le quotidien d’un vieil homme solitaire.
L’écriture, tellement délicate, infuse une mélancolie discrète, qui refuse de s’apitoyer sur son sort. Elle porte l’introspection d’un homme sans regrets envers les choix qu’il n’a pas pu faire dans sa jeunesse, les mues successives, assumant pleinement un « temps qui avait continué sa course, et avait fini par (les) rattraper. »
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 9 octobre 2025
REPÈRES
Né en 1959 à Copenhague, Jens Christian Grøndahl a fait des études de philosophie et publié son 1erroman " Kvinden i midten " (inédit en France) en 1985. Grande figure de la littérature danoise, il a, à son actif, plus d'une vingtaine de livres, romans, pièces de théâtre, essais, traduits dans le monde entier et a remporté de nombreux prix dans son pays.
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