LE TOURNOI DES OMBRES de Jean-Pierre Perrin - Éditions Rivages/Noir
- Béatrice Arvet
- 8 juil. 2023
- 2 min de lecture
Grand reporter, ayant arpenté la plupart des zones de conflits, Jean-Pierre Perrin partage sa passion pour l’Asie centrale dans des romans où Histoire, polar, poésie et aventures se tissent magistralement. Entre hier et aujourd’hui, un voyage palpitant sur les traces d’Alexandre le Grand dans le pays le plus dangereux de la planète.

Dans un Afghanistan mis à feu et à sang par des talibans prêts à reprendre le pouvoir, Jean-Pierre Perrin mêle le destin de trois personnages cabossés, ayant chacun un compte à régler avec son passé. Charles, un ancien des forces spéciales reconverti dans la viniculture, est recruté par Judith, une écrivaine en stiletto qui prétend travailler sur une biographie d’Alexandre le Grand, vu par Roxanne, sa compagne. De son côté, Marc-Antoine, un étudiant idéaliste, s’est mis en tête de récupérer la version pachto du « Rire des amants » cachée par son auteur, le philosophe Sayd Bahodine Majrouh lors de sa fuite en 1978. Leur périple les mène à Aï Khanoum au nord de l’Afghanistan, là où déferle le Bâd-e Shâmal, ce « vent de Satan » qui charrie le vécu morbide d’une région ayant résisté depuis la nuit des temps aux invasions, massacres et pillages. Le commandant Massoud y avait installé son quartier général.
Le tournoi auquel nous convie Jean-Pierre Perrin ressemble à une danse macabre d’où émerge parfois l’éclat d’une splendeur, comme une vaine tentative de racheter la sauvagerie des hommes. De Kaboul à ce piton rocheux, ancienne cité grecque rabotée par l’Histoire, l’auteur du « Paradis des perdantes » incorpore ses propres souvenirs à la triste actualité afghane. L’attaque des Mi24 russes dans les collines du Panjshir en 1980 fait écho à celle plus récente et écœurante d’une maternité dont on a du mal à croire qu’il s’agit d’une œuvre humaine. Cependant, malgré les attentats, la délation, l’obscurantisme à l’œuvre, des îlots de résistance perpétuent courageusement la culture et les poètes persans, à l’instar du Khârâbât, un quartier de Kaboul où la musique ne s’est jamais tue, même sous l’oppression talibane.
Probablement est-ce ce paradoxe qui fascine Jean-Pierre Perrin depuis tant d’années, cette possibilité de trouver dans un même lieu, la plus sordide cruauté, les ténèbres les plus sombres et une beauté si parfaite qu’elle en devient ensorcelante. En dix déclinaisons sur les ombres, Il embarque le lecteur dans une quête vengeresse qui s’oppose là aussi à la lumière émanant de son étudiant solitaire. Peuplé de héros et de bourreaux, de poètes et de guerriers, ce roman Instructif, divertissant, terrifiant parfois, est porté par le « souffle puissant » du mystère afghan.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 8 juin 2023
REPÈRES
Né en 1951 à Dijon, Jean Pierre Perrin a vécu de 1988 à 1991 à Bahreïn (Émirat des deux mers) comme directeur de l’AFP pour l’Irak, les émirats, la Péninsule arabique et le Yémen. En tant que grand reporter à Libération, il a couvert la plupart des conflits du Moyen Orient et de l'Asie centrale et publié des récits et des polars. « Choses vues en Afghanistan” (La Table Ronde) a reçu le prix Bourgogne 2002 et le grand prix des lectrices de Elle en 2003.
À lire également « Le djihad contre le rêve d’Alexandre » (Seuil, 2017)
DERNIERS OUVRAGES PARUS
Une guerre sans fin – Rivages, 2021
Iran, l’âme des poètes – Nevicata, 2017
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