LA FOUDRE de Pierric Bailly - Éditions P.O.L
- Béatrice Arvet
- 26 nov. 2023
- 2 min de lecture
Après avoir entendu aux infos que l’un de ses anciens copains de terminale était accusé de meurtre, la vie de Julien va imperceptiblement prendre un tour nouveau. À l’aide d’un ressort narratif très efficace, Pierric Bailly raconte un homme coupé en deux. Touchant, attachant, captivant.

Depuis plusieurs années, la routine était bien réglée. Alpage l’été avec ses brebis dans les massifs du Haut-Jura, en station de ski l’hiver. Une saison pour la solitude, une autre pour la vie sociale. Julien, petit John pour ceux qui ont connu son grand-père, concilie ainsi les deux facettes d’un caractère bougon appréciant épisodiquement la compagnie et la fête. À l’approche de la quarantaine, il projette un changement radical en souhaitant s’installer à la Réunion avec Héloïse, sa compagne depuis dix ans. Abasourdi à l’idée que son ancien camarade de dortoir, pacifique défenseur de la cause animale, ait pu tuer un chasseur, il contacte Nadia, son épouse. Progressivement, devant le désarroi de cette femme se retrouvant seule avec deux enfants, contrainte d’affronter une situation traumatisante, il s’insère dans la vie de la famille, devient l’ami, le confident, un repère pour les enfants.
La sensibilité exacerbée de Pierric Bailly excelle à restituer cette fragilité si émouvante des hommes, leurs incertitudes, leur manque d’assurance, les questions qu’ils se posent et qu’ils n’osent pas formuler, ce rapport étrange à la femme, à la fois instinctif et policé. Quelle réminiscence des années lycée ce drame réveille-t-il ? Pourquoi le souvenir d’Alexandre, son rire, obsèdent-ils Julien à ce point ? Que cherche-t-il en s’impliquant dans son intimité ?
De la jeunesse, ce temps de formation si intense qu’il impacte une existence entière, Pierric Bailly recrée au plus juste les émotions, les emprunts à un autre admiré, l’image de soi souvent dépréciée, le rejet soudain d’un modèle idéalisé, ces étapes où se profile l’adulte en devenir. Évidemment, la nature est superbement représentée dans cette introspection d’un berger moderne, romantique malgré lui, qui dialogue silencieusement avec les éléments, la « foudre » en particulier.
Voilà un roman tout en délicatesse où la prose fluide coule comme l’eau des rivières jurassiennes, en traversant les paysages sinueux qui forment la cartographie d’un personnage, tentant juste d’être en accord avec son moi profond. Une variation sentimentale dans laquelle chaque lecteur se retrouvera sûrement.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 26 octobre 2023
REPÈRES
Né en 1982 dans le Jura, Pierric Bailly a publié six romans chez P.O.L. Il a reçu le prix Blù Jean-Marc Roberts pour « L’homme des bois » en 2017. « Le roman de Jim » (P.O.L, 2021) est en cours d’adaptation au cinéma par les frères Larrieu.
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