L'ÉTAU de Paul Greveillac - Éditions Gallimard
- Béatrice Arvet
- 29 oct. 2022
- 2 min de lecture
Mis au ban de la société, après la publication d'une photo de leur père sur un panzer nazi, une universitaire et son frère tentent de découvrir la vérité sur son rôle dans la machine de guerre hitlérienne. Paul Greveillac mêle documentation et fiction en réinventant l'histoire d'un fleuron de l'industrie automobile tchèque, pris en otage par l’invasion allemande. Une épopée industrielle ample, captivante, qui pose la question très actuelle d'une entreprise contrainte de collaborer avec l'envahisseur.

Prague 1997. Sur le point d’être nommée à la tête d’une chaire de sciences politiques, Nad’a est soudain confrontée à une polémique concernant les activités de son père pendant l’occupation. A-t-il été un héros comme l’affirmait sa mère ou un collabo comme le fait croire la cabale médiatique dont elle est victime ? Son poste étant remis en question, elle décide avec Andel, son frère, de se plonger dans les archives de la société Fernak, dont il était PDG.
Paul Greveillac a une manière bien à lui de se frotter à l'histoire, en créant des personnages qui lui permettent d’y naviguer à son aise. Après le cinéma soviétique dissident, l'art sous la révolution culturelle chinoise ou l'architecture dans la Hongrie nationaliste, il s'attaque à l'industrie, par le biais d'une usine automobile tchécoslovaque confrontée au chaos de la seconde guerre mondiale. De sa création par deux frères inspirés à l’arrivée des soviétiques, en passant par le pillage de ses richesses et le recours massif aux prisonniers juifs afin de pallier le manque de main d’œuvre, « L’étau » sonde la problématique insoluble de toute entreprise en temps de guerre. Si l’on pense évidemment à la firme Skoda, elle-même passée sous le contrôle des nazis et contrainte de fabriquer du matériel militaire, le propos se veut plus vaste, en englobant les subtilités de situations complexes.
L’auteur de « Maîtres et esclaves » pose la question de l’interprétation du passé, des décennies après, lorsque les mentalités ont changé, lorsque la tentation est grande de se l’approprier à des fins idéologiques. Que raconte une image sortie de son contexte ? Comment résister aux totalitarismes quand on n’est ni courageux, ni lâche ? Les enfants sont-ils comptables des actes de leurs parents ?
Paul Greveillac infiltre la psychologie de personnages d’ordinaire insondables, vils ou héroïques, cruels ou braves, à qui les circonstances offrent une occasion de montrer un nouveau visage. Il s’avère spécialement habile pour pénétrer la fascination du mal, les turpitudes ou les revirements intérieurs d’hommes devenus soudain tout-puissants. Au moment où un pays européen est confronté à une agression telle qu’on ne l’imaginait plus, ces interrogations n’ont, hélas, pas pris une ride.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 25 mai 2022
REPÈRES
Né en 1981, Paul Greveillac a fait des études de lettres avant d'intégrer Science Po. Il a vécu à Vienne, Shanghai ou Dublin. Il a publié 4 romans et reçu plusieurs prix dont le Roger Nimier pour son 1er roman " Les Âmes rouges ", le prix Jean Giono pour « Maîtres et esclaves » ou le prix du salon du livre de Chaumont pour « Art nouveau » (Gallimard, 2016, 2018, 2021).
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