UN PASSAGE VERS LE NORD d' Anuk Arudpragasam - Éditions Le bruit du monde
- Béatrice Arvet
- 25 févr. 2023
- 2 min de lecture
La littérature srilankaise fait irruption dans notre paysage par le biais d’un superbe roman, qui nous immerge dans les réflexions existentielles d’un jeune tamoul, hanté par le passé récent de son pays. Un questionnement philosophique, mis en forme avec une grande richesse de nuances.

Après ses études à New Dehli, tiraillé par l’idée d’avoir été protégé des horreurs de la guerre civile (1983-2009), Krishan est parti travailler dans le nord de l’île pour une ONG. Désireux de retrouver la ville et des activités plus légères, il est de retour à Colombo où vivent sa mère et sa grand-mère. Un jour, Anjum, son ancienne petite amie, lui envoie un mail qui le perturbe. Au même moment il apprend que Rani, une femme ayant passé deux ans à s’occuper de la vieille dame, a fait une chute mortelle dans son village. Il décide d’assister à ses obsèques dans la région de Kilinochchi où la guerre a débuté.
Voilà pour l’action. Krishan marche en fumant le long de Marine Drive, passe l’interminable trajet en train à revivre sa passion avec Anjum et tente d’imaginer ce qu’a pu être la vie de Rani, après tant de drames. Nous sommes ici en présence d’un texte entièrement introspectif, d’une grande délicatesse, concernant la description de la vieillesse, les forces étranges qui rapprochent deux êtres ou la souffrance d’une femme ayant perdu deux fils dans un conflit fratricide. Durant 25 ans, les hostilités, particulièrement violentes, ont traumatisé plusieurs générations de sri-lankais, laissant des familles détruites, abonnées aux services psychiatriques pour le restant de leurs jours.
Fin observateur, Anuk Arudpragasam tente de décrypter les codes qui régissent les liens entre individus, l’importance d’un regard capable de transformer l’autre en ami ou en ennemi, pourquoi la passion n’est souvent que la projection d’une image fantasmée ou encore, comment deux êtres aux antipodes peuvent nouer une amitié sincère. Les mots coulent comme un fleuve tranquille, formant une langue d’une élégance précise et lucide pour décomposer les mille facettes du rapport à l’autre et au temps. Une tentative réussie de rendre l'essence même de la vie.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 5 janvier 2023
REPÈRES
Né en 1988, Anuk Arudpragasam est d’origine tamoul et écrit en anglais. Docteur en philosophie, diplômé de l’université de Columbia, il a publié 2 romans, « Un bref mariage » (Gallimard, 2016) et « Un passage vers le nord », qui était sur la liste finale du Booker Price 2021.
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